Je la secoue légèrement lorsque son regard se perd, on dirait presque qu'elle ne reviendra pas de ce vide. C'est vrai que sa vie est une sacré tempête.

"Il était peut-être trop tard pour toutes ces choses, mais ça ne veut pas dire que ce doit être le cas pour ta vie entière. Si tu pars de se principe, tu ne t'en sortiras jamais."

Mitsuki cligna des yeux lorsque Matthias la secoua.

"- Peut être que si... Ma vie est déjà fichue, avec un enfant à ma charge, mes problèmes d'alcool et mon mal-être permanent..."

Puis elle ajouta:

"- Je ne vivrai pas longtemps de toute manière. Je sais que je mourirai jeune... Je sais qu'un jour personne ne sera là pour arrêter mes tentatives de suicide... Et peut-être que ce ça sera mieux comme ça..."

Je lui donne une pichenette sur le front, seul chose que j'ai trouvé à faire.

"Des conneries ! Ce ne sera pas mieux, et tu laisseras un enfant orphelin ! Tu as pensé à aller voir un psy, ou à en parler sérieusement avec les gens qui tiennent à toi ? Si tu pars de manière pessimiste, t'es mal barrée."

Maintenant qu'il le disait, c'est vrai qu'un psy serait la meilleure chose à faire. Elle s'essuya des yeux avec son chemisier cette fois, et dit:

"- Mal barrée, c'est bien le mot..."

Puis elle ajouta :

"- Où je vais trouver un psy?"

Elle peut remercier le mascara de s'être barré avant, sinon, elle aurait eu plein la manche.

"Pour l'instant, je peux faire l'affaire, si tu veux. J'veux dire par là qu'on se connait pas, donc c'est plus simple. Après, j'ai pas de problème dans ce genre, alors je connais pas de psy."

Mitsuki haussa les épaules, cherchant quoi lui répondre.

"- Je n'ai pas tellement envie de t'accabler avec mes malheurs. "

Je réfléchis. Perso, ce n'est pas que j'en ai rien à faire, mais que je n'y perdrais rien, donc ça m'est égal.

"Tu me dérangeras pas, je t'assure ! Par contre, le conseil primordial que je veux te donner, c'est de parler avec ton copain du gamin. J'ai pas envie d'écouter une... mauvaise mère."

J'ai hésité à la qualifier ainsi, mais ça me semblait vrai.

Mitsuki l'écouta calmement jusqu'à qu'il prononce sa dernière phrase. Mauvaise mère était ce que craignait le plus d'être Mitsuki.
En entendant cela dans la bouche d'un autre, elle se remit à pleurer. Les épaules secouées par des sanglots disproportionnés et elle dit d'une voix brisée :

"- Je ne veux pas être une mauvaise mère..."

Bon... Mon but était pas de la faire replonger...

"Ton gosse actuel, celui que t'aimes, il t'adore ou pas ? Si oui, tu sais que t'es pas tant que ça une mauvaise mère !"

Mitsuki hocha la tête affirmativement. Oui Genki l'adorait. Mais, il était tout de même un enfant perturbé. Les quelques mois qu'il avait passé loin de la douceur de sa mère lui avait laissé un mauvais souvenir. Il se réveillait souvent la nuit en hurlant à briser les vitres. Il ne voulait jamais aller vers quelqu'un d'autre que Mitsuki, Ermon où Yann.

"- C'est pas une question d'aimer ou pas... J'ai du mal à joindre les deux bouts financièrement. Et puis y'a mes études, le boulot que j'arrive pas à trouver, et ce nouveau gosse qui va arriver... J'ai que 16 ans quand même..."

Elle marqua une pause avant de reprendre:

"- Et puis, Genki n'est pas un enfant très heureux... Il a été éloigné de moi pendant un bon moment. Il fait des cauchemars toutes les nuits. A l'école maternelle, ils l'ont pas voulu parce qu'il a un léger retard par rapport aux autres. Jusqu'à maintenant il était au Japon, et puis il a été dépaysé... Et il ressent mon mal-être... "

Mes pensées s'arrêtent juste à temps pour ne pas lui demander si ses parents peuvent aider. J'aurais été vraiment emmerdé, si j'avais posé la question.

"Et tu ne connais personne qui pourrait t'aider ? La famille de ton copain, ou de ton meilleur ami... Si tu apportes le soutien nécessaire à Genki, ça devrait le faire. Faut que tu prennes confiance en toi, sinon, tu peux te brosser pour trouver ce que tu cherches."

Mitsuki secoua la tête en guise de refus.

"- J'oserai jamais leur demander... Je ne vais pas aller importuner les parents de Yann, ni les parents d'Ermon... C'est même pas son fils..."

Elle se passa la main dans les cheveux, désespérée.

"- Je ne veux pas amener Genki chez un psy. Ils vont me retirer mon enfant. Et je ne veux pas le perdre une nouvelle fois..."

Je soupire. Elle a pas tort, mais elle a pas tout à fait raison non plus.

"Je te parle pas d'un psy, pour ton gosse. Je te parle de toi, comme aide. T'es la mieux placée pour ça. Et tu peux toujours aller te renseigner, tu gagneras rien à rester pleurer. Enfin, c'est sûrement plus facile à dire qu'à faire."

Mitsuki réfléchit un instant, un front plissé. A 16 ans, Mitsuki ressemblait déjà à une femme adulte. Même si elle restait encore une enfant mise à terre par la vie

"- Je vais essayer de trouver un boulot déjà... Et je vais redoubler de prévoyance envers Genki..."

Je la plains vraiment... ça doit pas être simple à vivre.

"Un boulot ? A ton âge ?"

Mitsuki le regarda avec des yeux ronds. Il se semblait pas comprendre.

"- Bhà oui. Tu veux que je le nourrisse comment mon gamin ? La pension que me verse tous les mois son père ne suffit pas. Y'a les vêtements à payer, la bouffe, le mobilier adapté à son âge... Sans compter les visites chez le médecin, les sorties... Et puis des affaires pour moi aussi, de temps en temps... "

Tout ce qu'elle dit là, je le sais.

"Ce que je veux dire, c'est que ce sera compliqué. T'as les cours, aussi."

Même si je suis pas du tout le mieux placé pour parler des études, c'est toujours mieux que rien.

"Et ton enfant. Avec toutes ces choses à gérer, fais attention à ne pas trop te surcharger."

Compliqué ? Elle avait vu bien pire.

"- Les cours c'est pas un problème. Quand Genki est né, j'ai commencé à travailler dans un fast food. Je suivais les cours le jour, et la nuit je partais travailler. Je dormais que quelques heures par nuit mais je m'en fichais. Si c'était pour le bien de mon fils."

Puis elle prit un profonde inspiration et ajouta :

"- Rachel est morte pendant cette période là. Alors crois moi la surcharge de travail ne me fait pas peur. "

Je soupire.

"Et quand ton corps lâchera, t'y as pensé ? Sérieusement, essaye d'être un peu plus égoïste. Certes, tu dois te démener, mais pas te tuer."

Mitsuki ria jaune un court instant.

"- Je n'ai pas le droit d'être égoïste. Genki vaut beaucoup mieux que ma santé. Je veux lui offrir la meilleure vie possible, et que quand je serai morte il se dira " Ma maman, elle ne m'a jamais laissé tomber."

Elle ajouta :

"- Et si tu te souviens bien, la mort me semble plus douce que la vie. Si c'est de cette façon que je dois mourir alors ça me va. "

Même si la base de ce rire était l'ironie, elle a pas de quoi rire. Enfin, si elle y arrive, tant mieux.

"Et tu ne penses pas qu'être heureuse de mourir a un côté lâche ?"

Mitsuki haussa ses maigres épaules et lui répondit:

"- Peut être...  Mais ça a aussi un côté attrayant quand toutes les personnes que tu aimes sont passés de l'autre côté... Peut être que je retrouverai alors mes parents, Rachel et Kristine... Même si je n'y crois pas vraiment."

Elle n'y croit pas, ça tombe bien. Moi non plus. La vie après la mort, c'est presque inimaginable.

"Je ne vois vraiment pas ce qui peut attirer dans une chose aussi sombre. Et puis, ce serait s'avouer vaincu trop facilement malgré ce que tu as traversé, tu trouves pas ?"

Les paroles de Matthias firent réfléchir Mitsuki quelques instants.

"- On n'a pas tous la même force de caractère. Je me suis assez battue. Je continuerai jusqu'à que je rendre mon dernier souffle. Et le plus vite sera le mieux. "

Elle est contradictoire...

"Tu t'es assez battue ? On se bat jamais assez, déjà, et si t'es pressée de rendre l'âme, tu seras vachement ralentie. Si tu comptes continuer, ne part pas en te disant que t'as assez donné, c'est évident."