Mitsuki arriva en titubant et en pleura dans le couloir. On aurait pu croire qu'elle était soûle, mais elle était juste anéantie par le chagrin.

Prise d'un sanglot violent, elle s'écroula dos au mur. Une fois par terre, elle tira un petit canif de sa poche et s'apprêta à se tailler une nouvelle fois les veines.. Il ne lui venait pas à l'idée que si elle se tuait, elle rendrait triste son copain, son meilleur ami et laisserai orphelin un petit garçon.

Je ne pensais pas que je verrai ça en passant par le couloir. J'ai hésité entre dehors et dedans, pour finalement choisir l'intérieur. Question de température, de vent... Quand j'ai entendu quelqu'un pleurer, je croyais que c'était pas trop grave. Sauf que la fille, que j'ai vu en avançant, avait un canif dans les mains. Lame et pleurs font pas bon ménage.

"Eh ! Tu comptes faire quoi, là ?"

Mitsuki releva un visage ravagé par les larmes et barbouillé de mascara dégoulinant. Lorsqu'elle vit le jeune homme brun s'approchait, elle se mit instinctivement sur la défensive, et rapprocha la lame de son poignet juste sur la cicatrice déjà existante. Une seconde plus tard, la lame s'enfoncera dans sa chair.

En voyant son geste, je fronce les sourcils. Je m'assois à côté d'elle, essayant de paraître le plus serein possible. On dirait qu'il y a eu la guerre sur son visage, les larmes et le mascara n'aident pas.

"Donne moi ça, t'es carrément... stupide de vouloir te faire du mal."

Lui dire qu'elle est conne risque de la décider à l'enfoncer. Stupide, ça atténue bien, je crois. Je tends la main, insistant pour qu'elle me remette l'arme.

Ce n'était pas la première tentative de suicide qu'elle faisait. A l'âge de 8 ans, elle avait bu de l'encre. A 10 ans,   elle avait avalé 4 dolipranes. Vers 13 ans, elle a commencé à boire. Et à 14 ans, elle s'était taillé les veines du poignet droit. La vie de Mitsuki était loin d'être un long fleuve tranquille. Orpheline à l'âge de 7 ans, et internée dans un orphelinat japonais où elle était maltraitée, la jeune demoiselle avait bien du mal à oublier cette époque là. Sans compter le décès de sa soeur jumelle, noyée dans une rivière, celui de sa meilleure amie, morte d'une overdose. Et il y avait aussi, la naissance de Genki alors que la jolie brune n'avait que 14 ans et la désertion du père.Et voilà que maintenant elle tombait de nouveau enceinte... Qu'aller en penser en Yann? Son meilleur ami?

"- Yann... " murmura-t-elle.

Elle aimait Yann de toute la force de son petit coeur meurtri. Il était son pilier, la personne qui était là pour la soutenir. Et puis, il l'aimait à elle aussi. Il l'aimait comme qa petite soeu. Non elle ne pouvait pas l'abandonner comme ça.

Doucement, elle posa l'arme dans la paume de la main du jeune homme, n'osant même pas le regarder.

"- J'en ai marre, j'en ai marre de cette vie..."

Je ramasse le canif dans ma poche lorsqu'elle me le remet, pour qu'il ne soit plus dans son champ de vision. Yann ? C'est qui ? Son amoureux ? Je soupire en l'entendant se plaindre de sa vie.

"Je sais pas ce qu'il t'arrive, mais j'peux te dire un truc ? Si tu fais rien pour améliorer ta condition, c'est clair que tu vas déprimer. Et... C'est qui, Yann ?"

Je réfléchis, sans trop savoir quoi lui dire. C'est délicat comme situation.

"Comment tu t'appelles ?"

En entendant sa première parole, Mitsuki enfouit son visage dans le creux de ses bras (elle a les genoux repliés sous son menton) et se remit à pleurer. Améliorer sa condition? Elle est bien bonne celle là...

"-Yann, c'est mon meilleur ami." répondit-elle des trémolos dans la voix.

Elle s'essuya les yeux d'un revers de manche, le maculant au passage de taches noires.

"-Mitsuki..."

Elle pleure. Encore. Elle a rien pour s'abîmer, c'est déjà ça. Par contre... Je ne sais pas comment faire pour pas la secouer trop fort.

"Et Yann, il est pas là pour toi ?"

Je regarde sa manche tâchée de maquillage. Les filles sont horribles avec ça, n'empêche. T'es pas obligé de te peinturlurer la figure tout le temps.

"Ok, Mitsuki. Moi c'est Matthias. Tu veux me parler de ce qu'il t'arrive ? Enfin... Je sais pas si ça peut te faire quelque chose..."

Mitsuki resserra ses genoux contre elle. Sur son visage, on pouvait lire une détresse difficile à concevoir.

"- Si toujours, mais... C'est trop dur à avouer..."

Elle le regarda un instant, avec la douleur d'une enfant perdue dans le regard. Il était un inconnu, c'était toujours plus facile de se confier à un inconnu.

"- Je veux mourir..."

J'ai rarement vu quelqu'un aussi bouleversé. Je reste avec elle, décidé à l'aider même si j'ai pas l'habitude de ce genre de chose.

"Dis pas n'importe quoi, pense aux autres. T'as bien des gens qui tiennent à toi, non ? Comme ton Yann. Qu'est-ce qui est dur à avouer ? T'as fait une connerie ?"

Mitsuki hocha honteusement la tête, le visage aussi pâle qu'un linge et semé de taches rouge autour des yeux.

"-J'ai plus de parents, j'ai plus de sœur, j'ai plus ma meilleure amie... Ils sont tous morts, morts, morts, morts!"

Elle s'arrêta, et s'essuya une nouvelle fois les yeux.

"- Tous les gens à qui je tiens, ils meurent tous..."

C'était pas exactement ça qu'elle voulait dire, elle voulait tout raconter mais elle en n'avait pas la force. Du moins, si personne ne la poussait à le faire.

Ah... C'est beaucoup de morts... Elle est maudite ?

"Bon... Euh... Faut pas que tu te mettes ça sur le dos. C'est pas de ta faute, tu le sais ?"

J'espère vraiment qu'elle en est consciente.

"Sinon, parle moi de cette connerie. C'est pas bon de garder les choses pour soi. Surtout dans ton cas, c'est trop dangereux."

Mitsuki enfouit son visage dans ses mains, rouge de honte.

"-Je... Je... Je suis enceinte." dit-elle d'une voix étouffée.

Elle releva la tête doucement, et ajouta en baissant les yeux :

"- Mais j'ai déjà un petit garçon..."

Enceinte ? Elle a quel âge ? Je veux pas faire mon rabat-joie, mais elle parait trop jeune pour avoir un gosse. Et ça va lui en faire deux, là. Je ne lui dis rien sur ce point, non désireux de soulever le côté moral.

"Et... Tu arrives à t'en sortir, avec ton premier gamin ? Si oui, tu devrais pas te mettre dans tous tes états pour un second. "

Mitsuki haussa les épaules, ne sachant pas vraiment comment l'expliquer. Elle aimait Genki, c'était certain. Mais elle n'aurait jamais voulu qu'il soit là. C'était trop tôt.

"- Mais j'en veux pas de ce mioche!" s'exclama-t-elle.

Elle repoussa sa franche qui lui tombait dans les yeux, et dit:

"- Pour Genki, j'avais que 14 ans... J'étais dans un orphelinat, y'avait personne pour m'expliquer ces choses là... Et... Alors, un garçon beaucoup plus âgé en a profité... Et puis, quand je lui ai dit pour... le bébé... Il est parti. Comme ça. Sans explication. "

Elle marqua une pause, souffla et reprit:

"- Et puis, comme j'étais toute seule... J'ai appris à aimer ce bébé... Mais là... "

Elle secoua la tête en disant:

"-Je le veux pas! Je le veux pas!"

En entendant tout ce qu'elle me dit, je commence à m'énerver. Je la force à me regarder sans pour autant lui faire de mal.

"J'veux bien comprendre pour le premier, tu savais pas, t'as fait une erreur, t'as dû le garder. C'est dégueulasse pour toi et le gosse, mais t'as su faire avec. Mais celui-là ! Ne me dis pas que tu savais pas comment l'empêcher ! Il est trop tard pour t'en débarrasser ou pas ?"

J'espère ne pas avoir été trop blessant, mais je peux pas ignorer ses paroles.

Mitsuki releva le regard, bien obligée. Elle encaissa tout ce qu'il avait à lui dire sans broncher. Puis une larme perla sous sa paupière, puis deux, puis trois ...

"- Mais... Mon copain veut le garder..."

Puis elle ajouta:

"-Ça serait que moi, je m'en débarrasserai ça c'est sûr..."

Je soupire, agacé par cette réponse. Elle a beau pleurer, vu ce qu'elle dit, elle n'est pas la plus à plaindre...

"Et alors ? T'es consciente de ce que va devoir endurer ce mioche ? Si tu ne l'aimes jamais, il le ressentira, et comment il va finir ? Tu veux qu'il souffre d'être mal-aimé par sa mère ?"

Je me calme avant de continuer.

"Tu en as parler à ton copain ? Vous pourrez en faire plus tard, allez pas vous gâcher la vie si jeune !"

Mitsuki se radossa au mur, toujours en pleurant.

"- Bien sûr que j'en suis consciente ! Tu crois que je suis con ou quoi?!"

Elle s'essuya une nouvelle fois le visage, c'était définitivement la fin de son maquillage.

"- Il est super heureux. Il pense que c'est une bonne nouvelle. Je ne veux pas le blesser en lui disant que je ne veux pas de son enfant..."

Mitsuki était quelqu'un qui pensait jamais à elle, bien qu'elle en ai besoin. Elle pensait toujours aux autres, au détriment de sa santé moral ou physique.

Je peste.

"Oui, t'es conne ! Si tu t'entêtes à le garder malgré ta réticence, tu le regretteras toujours ! Pense à toi, à cet enfant ! Qu'est-ce qui est mieux, à ton avis ? Ton copain pourra comprendre, s'il t'aime ! Et si c'est pas le cas, et bien, tu sais ce qu'il te reste à faire ! Tu l'envoies se faire foutre !"

Il avait raison, mais Mitsuki refusait de le reconnaître. Elle ne voulait pas blesser Ermon. Et puis, si elle lui disait qu'elle voulait se faire avorter, elle avait peur qu'il la laisse tomber. Même si il lui avait promis le contraire.

"- M'engueule pas..." murmura-t-elle.

Puis elle ajouta:

"- Si tu savais ce que j'ai enduré..."

Et elle fut reprise d'une crise de larmes, encore plus violente que la précédente.

Je n'ai malheureusement pas de mouchoir sur moi, je lui en aurais bien donné un.

"Mon but, c'est pas de te faire souffrir, c'est de te faire réaliser. Et même si je sais pas ce que tu as subi, ça ne m'empêche pas de réagir sur ce que tu me dis. Parles-en avec ton copain, vraiment, c'est urgent ! Tu t'en sens capable ?"

Mitsuki secoua la tête négativement, incapable de prononcer un mot. Les larmes gouttaient sur son chemisier et dégoulinaient le long de son cou.

"- Faut que... je réfléchisse... avant..." lui répondit elle d'une voix brisée.

Réfléchir avant ? Ok... Je soupire, elle est têtue.

"Et quand il sera trop tard, tu réfléchiras à quoi ?"

Mitsuki releva le regard vers lui, ses traits étaient ceux d'une jeune fille qui avait dû grandir trop vite, qui avait vu trop de choses affreuse pour en sortir indemne.

"- Il a toujours été trop tard... Si tu crois que ça me fait peur maintenant..."

L'instant d'après, son regard était perdu dans le vide et voyait des choses qui s'étaient produites il y a des années.

"- Il était trop tard quand mon père mort, trop tard quand le docteur est arrivé. Il était trop tard pour mettre ma mère en quarantaine, elle était déjà ateinte de l'épidémie. Il était trop tard quand j'ai plongé dans l'eau pour sauver Rachel, elle était déjà noyée. Il était trop tard pour s'en vouloir d'être alcoolique, Kristine était morte d'une overdose. Il était trop tard pour me débarrasser de Genki. Il était trop tard pour rattraper le père, il était déjà parti. Il était trop tard pour regretter ça" dit-elle en lui montrant la cicatrice sur son poignet " certaines blessures ne se soigneront jamais..."